Le bal des ombres – Joseph O’Connor

Shadowplay, 2019. Traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau. Éditions Rivages, janvier 2020 ; 462 p.

Ma chronique (Rentrée hiver 2020, 1) :

Je ne sais même pas par où commencer pour vous parler de ce Bal des Ombres, tellement cette lecture m’a enthousiasmée. Fiction historique sur la vie de Bram Stoker, l’auteur de Dracula, c’est un chef d’œuvre absolu. Joseph O’Connor réussit le tour de force de nous immerger à la fois dans l’époque, dans la vie de Bram et de ses proches, mais aussi dans son œuvre.

Bram Stoker est né en 1847 à Clontarf, au nord de Dublin. Après ses études il devient fonctionnaire dans la capitale irlandaise. Il est féru de théâtre et à l’étroit dans sa vie à Dublin, il écrit, il aspire à autre chose. Il a toujours aspiré à autre chose. Un soir il rencontre Henry Irving, le comédien le plus talentueux de son époque, et sa vie bascule : il est engagé comme administrateur du Lyceum, le théâtre Londonien qu’Irving vient d’acheter.

La narration est incroyablement habile. Quelques lettres, un journal en partie rédigé, des passages retranscrits de la sténo, on bascule du roman au théâtre. Ce roman est presque construit comme le Dracula de Bram Stoker. Une fiction dans la fiction, pistes brouillées, où se situe donc la réalité ?

On vit avec le Lyceum, de la scène où se jouent Shakespeare ou Dr Jekyll et Mr Hyde aux coulisses où quatre-vingt-sept personnes travaillent, cousent, peignent, en passant par le grenier où Bram écrit. Henry Irving prend vie devant nos yeux, génial, flamboyant et odieux ; assez vite on le devine source d’inspiration pour un certain Comte… Le roman est truffé de références, d’allusions, de clins d’œil à l’oeuvre de Bram Stoker ; c’est proprement jubilatoire. On apprend aussi à connaitre l’actrice Ellen Terry, on croise Oscar Wilde, dans les rues de Londres sévit Jack l’éventreur, l’époque est au spiritisme. On s’attache à Bram Stoker, massif, barbu, secret, dévoué au Lyceum et à Irving, hanté par l’écriture, et qui n’arrive pas à percer. J’ai trouvé touchante la démarche du livre, faire sortir Bram Stoker de l’ombre de son œuvre.

C’est un roman sensationnel, profond, foisonnant, passionnant – saviez-vous qu’à l’époque les droits d’auteur n’existaient pas vraiment pour les livres ? Pour qu’un texte en bénéficie, il fallait qu’il ait été joué au moins une fois au théâtre, et qu’un billet ait été vendu. Les personnages sont incarnés, l’écriture forte et vivante – et la traduction lumineuse. Et cet humour ! Heureusement, le roman fait 450 pages, on a le temps de le savourer, je suis pourtant triste de l’avoir terminé. Si je m’écoutais, je vous en copierais des passages entiers.

(Irving) « Vous jouez le roi du Danemark relevé de sa tombe, pas un ramoneur ivre qui se branle derrière une haie. Encore une fois, espèce de vieux débris ! Par les pantoufles du Seigneur, vous êtes à peu près aussi surnaturel qu’un crachoir dans un lupanar. »

« Flo : Les pensées abstraites des artistes n’ont guère d’intérêt pour moi, j’en ai peur. J’ai choisi de vivre dans le monde réel.
Lui : Ah, le monde réel, ce vil donjon de cruauté et de privation. Je vous le laisse.
Flo : Penser cela du monde doit être un lourd fardeau.
Lui : Je ne fais pas confiance aux penseurs : ressentir, c’est la seule façon de savoir. Sans nous, les artistes, votre monde serait moins supportable, non ?
Flo : je me méfie de ceux qui disent que la vie ne serait pas possible sans l’art. Elle l’est, pourtant, pour des milliers de pauvres. Ils n’ont pas le choix en la matière. La vie de serait pas possible sans ces choses superficielles que sont la nourriture. Ou un logis. Affirmer autre chose est une posture.
Lui : Vous avez de l’esprit, Mrs Stoker.
Flo : Et j’ai bien d’autres choses encore.
Lui : Evidemment. Vous avez Bram.
Flo : Et j’ai l’intention de le garder. »

« En redescendant, je me suis aperçu que je tenais une vague histoire. C’était comme si j’avais trébuché dessus, là-haut dans l’antre, et qu’elle collait à mes vêtements, ma barbe et mes sourcils, pareille à des poils. »

Je vous recommande Le bal des ombres avec entrain, vous l’aurez compris ! Un très grand merci aux éditions Rivages pour ce partenariat.

  25 comments for “Le bal des ombres – Joseph O’Connor

  1. 12 janvier 2020 à 9 h 08 min

    Je l’avais repéré. Tu confirmes qu’il vaut le détour.

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    • 12 janvier 2020 à 9 h 20 min

      Carrément ! Le sujet, l’auteur, j’en attendais beauxoup et j’ai été enchantée ! Un roman crépitant

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  2. 12 janvier 2020 à 13 h 40 min

    HAHAHAHAHAHAAAAAA je l’ai commandé hier !!!!!!!

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  3. 12 janvier 2020 à 13 h 41 min

    Je veux crépiter aussi.

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    • 13 janvier 2020 à 10 h 57 min

      (Pliée de rire !) Je voulais dire que ce livre est lumineux. Mais pas comme le soleil. Plus comme un feu de cheminée qui envoûte, avec ses ombres mouvantes. Exaltation et mystère. Difficile de trouver un mot, d »où le « crépitant » 🤪

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  4. 12 janvier 2020 à 16 h 07 min

    Je pense que je le lirai même si, à part ses nouvelles que j’aime beaucoup, je n’ai jamais réussi à lire un roman d’O’Connor. Je le préfère en format court.

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    • 13 janvier 2020 à 11 h 00 min

      Essaye celui-ci, il change vraiment de ses romans habituels je trouve (en tous cas ceux que j’ai lu) – sauf Muse peut-être – dans le rythme, tu y retrouveras je pense souvent le plaisir de ses formats courts

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  5. 12 janvier 2020 à 17 h 07 min

    je l’ai remarqué aussi mais je n’ai encore rien lu de l’auteur d’où les hésitations 🙂

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    • 13 janvier 2020 à 11 h 02 min

      N’hésite plus !!! Le moment est venu ma chère de lire le grand Joseph O’Connor ! (A lire avec le ton un peu emphatique qui va bien. Une main sur le cœur ? Haha Henry Irving sors de ce corps !)

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  6. 21 janvier 2020 à 18 h 25 min

    Ça pétille ! Ça pétille aussi de beauté dans les premières pages et les paysages traversés par le train ! ♥️

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  7. 26 janvier 2020 à 20 h 30 min

    Grande fan de cet auteur, j’avoue avoir laissé filer son avant-dernier titre (celui avec le groupe de rock), influencée par les avis mitigés exprimés à son sujet. Mais pour l’instant, je ne lis qu’enthousiasme à propos de celui-ci, et je m’en réjouis ! Il ne va sans doute pas tarder à rejoindre mes étagères..

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  8. 13 février 2020 à 22 h 25 min

    On sent ton enthousiasme ! 😉 Je ne connaissais pas cette anecdote sur les droits d’auteur. Merci pour cette couverture magnifique dans mon bilan des coups de coeur !

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  9. 15 février 2020 à 20 h 08 min

    il a rejoint ma PAL :)!

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  10. 23 février 2020 à 0 h 20 min

    Ah, I need to read that. Bram Stoker et moi, c’est une grande histoire d’amour.

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