Retour à Martha’s Vineyard – Richard Russo

Chances are…, 2019. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch. Éditions La Table Ronde, collection Quai Voltaire, 27 août 2020 ; 384 p.

Mon avis (Rentrée automne 2020, 1) :

Première incursion d’un orteil timide dans l’œuvre de Richard Russo au mois de juin dernier, avec sa nouvelle Et m*** !, et l’envie de m’y plonger plus avant… C’est chose faite avec Retour à Martha’s Vineyard, son dernier roman, qui a paru hier en France. Immersion totale, avec bonheur. Pour tout dire, je suis restée scotchée. Scotchée dans cette histoire, que je n’ai pas pu quitter une fois entamée – je lis toujours plusieurs livres à la fois, c’est une habitude depuis l’enfance, et bien là non, cette histoire m’a tellement happée qu’elle a gagné mon attention exclusive.

Retour à Martha’s Vineyard a été un coup de coeur. Pas de ceux foudroyants, comme ces fois où on sent l’électricité qui file du bout des doigts directement au coeur en tournant les pages, non. Retour à Martha’s Vineyard a été un coup de coeur progressif et total, de ceux qui font leur chemin en vous petit à petit et finissent par prendre toute la place. De ceux qui vous imprègnent longtemps. J’ai terminé ce roman depuis quelques jours et franchement je ne sais pas comment vous en parler. Richard Russo le fait tellement magistralement !

Ils sont quatre amis à l’université dans les années soixante-dix : Lincoln, Terry et Mickey, trois étudiants boursiers serveurs dans une sororité, les trois mousquetaires, avec pour d’Artagnan Jacy, qui, elle, appartient à un milieu huppé. Tous les trois sont fous amoureux d’elle. Un pour tous, tous pour un (une ?). C’est l’époque de la guerre du Vietnam, la conscription a eu lieu par tirage au sort à la télé et la date de naissance de Mickey est hélas arrivée en neuvième position… Terry est tranquille avec sa trois-cent et quelque-ième position, Lincoln, lui, est entre les deux. Dans ces circonstances, la fin de leurs études agite sombrement le spectre de l’incorporation. Une fois la remise des diplômes passée, ils décident de passer ensemble un dernier week-end dans une maison que possède la mère de Lincoln, sur l’île de Martha’s Vineyard. Dernier moment à eux quatre avant leur changement de vie radical – en plus le pays est si vaste… Jacy va se marier et vivre à Greenwich, Connecticut, Lincoln, fiancé, retourne dans son Arizona natal, Terry, originaire du Midwest, ne sait pas encore ce qu’il va faire de sa vie – et pour Mickey, le Vietnam. Ils veulent essayer de le convaincre de passer la frontière canadienne. On est en mai 1971. A la fin de ce week-end, Jacy va mystérieusement disparaître.

Quarante-quatre ans plus tard, ce sont trois hommes vieillissants qui retournent à Martha’s Vineyard. Lincoln est maintenant agent immobilier à Las Vegas, marié et père de six enfants ; Teddy est éditeur de livres religieux à Syracuse et Mickey, musicien et ingénieur du son à Cape Cod, toujours massif et grande gueule.

A peine l’île en vue, le souvenir de Jacy s’impose à eux trois avec force et chacun va entamer son propre voyage de retour dans le passé, sa vie, la mémoire, ce fameux week-end de 1971 et ce qui y a mené.

Richard Russo nous livre un témoignage magnifique. Il ausculte avec finesse et maestria toute une génération (la sienne, du coup, car il est né en 1949) et les multiples facettes de son pays. Un récit social et politique, toujours humaniste, qui dénonce le déterminisme social et la violence faite aux femmes. Le ton est souvent mélancolique, mais toujours juste. L’histoire alterne entre différents points de vue et se met à mesure à flirter avec le thriller. Elle s’élargit aussi et englobe les générations passées. Tout y passe. Tout est maîtrisé, passionnant, brillamment construit, écrit (et traduit !). Les personnages sont attachants.

Et tout le long, en fond sonore de l’histoire et de leurs vies, la chanson Chances are du titre original du roman. « Il y a des chances ». Pour que leurs chances « soient bougrement bonnes », « et que ce putain de monde s’intéresse un tant soit peu à leurs espoirs et à leurs rêves », pensaient-ils quand ils étaient jeunes, avec la vie devant eux. Mais ensuite, plus tard, à la fin ? Que s’est-il passé ? Qu’ont-ils fait de leur vie, de leurs rêves, qu’est-ce que la vie a fait d’eux ?

« Supposons que les secondes chances existent. Si on disposait tous de plusieurs vies, seraient-elles différentes ? […] Ou bien exactement semblables ? »

Un beau coup de coeur, donc, pour mon premier roman de Richard Russo. Merci aux éditions La table Ronde !

  10 comments for “Retour à Martha’s Vineyard – Richard Russo

  1. 28 août 2020 à 16 h 00 min

    Je te lis en diagonale car je vais le lire bientôt, mais j’ai vu l’essentiel: coup de coeur! J’avais adoré « A malin, malin et demi », je te le conseille!

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    • 28 août 2020 à 16 h 24 min

      Heureuse que tu le lises bientôt ! Oui, j’ai prévu de lire A malin malin et demi, mais je vais commencer par Un homme presque parfait, qui se passe avant (j’ai fait le plein en occasion :D)

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  2. 29 août 2020 à 11 h 09 min

    Ah j’ai adoré Un homme presque parfait et A malin, malin et demi, tu vas te régaler ! Je note celui-ci, tu es la 2e à manifester un tel enthousiasme à sa lecture..

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    • 31 août 2020 à 13 h 55 min

      Oui, je ne suis pas la seule à avoir craqué ! J’espère qu’il te plaira aussi (à priori ce devrait être le cas :D)

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  3. 29 août 2020 à 15 h 09 min

    Il m’attend et j’ai hâte de le commencer.

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  4. 1 septembre 2020 à 0 h 44 min

    Richard Russo est un très très grand auteur. bravo pour la belle chronique enthousiaste.

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