D’os et de lumière – Mike McCormack

Solar Bones, 2016. Traduit de l’anglais (Irlande) par Nicolas Richard. Éditions Grasset, janvier 2019 ; 352 p.

Ma chronique (rentrée hiver 2019, 4) :

Les amis, voici venu mon premier coup de cœur irlandais de l’année !

Nous sommes le 2 novembre, « ces grises journées après la fête de Samhain quand les âmes des morts sont autorisées par les prières des fidèles à sortir du purgatoire pendant un certain temps afin de pouvoir retourner chez elles ». Marcus Conway, ingénieur, cinquante ans, est assis dans sa cuisine à la sortie de Louisburgh dans le Comté de Mayo, sur la côte ouest de l’Irlande. Ce midi, quand les cloches ont commencé à sonner l’angélus, un vertige l’a pris. Seul dans sa maison, il a quatre heures à attendre avant que sa femme Mairead ne rentre du travail. Ses deux enfants, Agnes et Darragh sont grands maintenant, ils ne vivent plus ici. Marcus lit le journal et de fil en aiguille, un article amenant des souvenirs, des rappels de lieux, un voyage, son père, nous sommes emportés dans son flux de conscience.

« tout ceci me revient à l’esprit maintenant en un torrent ininterrompu
assis à cette table
des visages des mots et toutes sortes de fragments dégringolent en moi, dans des abîmes branlants et entrelacés »

Dans A la ligne de Joseph Ponthus, il n’y avait pas de points, mais des majuscules et des lignes passées. Ici, non. D’os et de lumière est en quelque sorte une seule longue phrase de 350 pages. Et vous voulez que je vous dise ? Ca fonctionne à merveille. Cette forme nous rapproche de Marcus. Je m’explique. Comme il est un peu difficile, sans fin de chapitre, de trouver où s’arrêter dans sa lecture… mais bon, n’exagérons rien, Mike McCormack aère souvent son propos, il va à la ligne – mais n’en passe jamais -, parfois même tous les quelques mots, comme notre esprit quand il réfléchit, qui pause sur une idée en particulier. Alors du coup quand on s’arrête, c’est souvent sur ces mots charnières, toujours en lien entre deux idées – jamais de coq à l’âne dans ce livre. Et alors, lorsqu’on reprend notre lecture, vraiment, c’est comme reprendre une conversation en cours. Et puis très vite, Marcus étant vraiment un gars chouette, c’est comme si on retrouvait un ami.

« une fois encore je perds le fil
emporté par les souvenirs »

Marcus a une vie d’irlandais moyen d’aujourd’hui, ni banale, ni extravagante. Sa femme est une intellectuelle brillante, sa fille une artiste prometteuse mais dont le parcours l’inquiète un peu, son fils parti barouder avec des amis en Australie cherche encore sa voie et ils se prennent souvent la tête, il admirait énormément son père fermier, qui a été emporté par une crise de démence à la mort de sa mère. On a hâte que Marcus continue à dérouler sa vie et ses souvenirs devant nous. C’est un homme ancré dans sa terre, dans son pays, dans son village. Résultats sportifs, politique du comté, nécrologie locale à la radio. Toutes les voitures qui passent devant chez lui le matin, il sait qui conduit, qui va où et pourquoi. C’est ce genre de type, Marcus. Il est bien dans sa vie. Et nous aussi, du coup.

« homme et garçon, père et fils, mari et ingénieur »

Son esprit butine dans l’espace et le temps, les évènements marquants de sa vie et des derniers mois, la première expo solo de sa fille, ses conversations sur Skype avec son fils, son travail d’ingénieur. C’est vraiment bien écrit. Fluide, précis, la traduction est splendide, ça se lit sans qu’on y prenne garde, comme d’écouter quelqu’un avec une voix agréable, et même si par moments notre propre esprit partirait presque de son côté, dans ses associations d’idées à lui, non, hop, Mike McCormack soudain va à la ligne entre deux mots, tiens mais pourquoi, pourquoi ici, ah d’accord, et nous voilà recentrés habilement sur ces pages, de chair et de sang, d’os et de lumière.

Je me suis régalée, un coup de cœur, une connexion. Souffle, humanité, poésie, humilité, introspection. D’os et de lumière m’a attrapée, ne m’a plus lâchée, la fin m’a bouleversée. Un livre élégant et profond. Je vous conseille ardemment de lire les premières pages de ce roman. Et si Marcus vous tend la main comme il l’a fait pour moi, alors foncez, sans hésiter.

« c’est ce qui est fascinant, leur croyance c’est que si tout le monde marche, parle et fait des choses dans le même sens, alors il existe un réel danger que le monde entier bascule, donc il faut qu’une personne aille dans le sens opposé pour maintenir l’équilibre du monde »

L’auteur : (présentation de l’éditeur) « Nouvelliste et romancier, Mike McCormack a grandi dans une ferme de Louisburgh, dans le comté de Mayo en Irlande. D’os et de lumière a été acclamé par la critique et traduit dans le monde entier. Désigné « Roman de l’année » lors des Irish Book Awards, il a été couronné en 2018 par le très prestigieux International Dublin Literary Award » (le mieux doté au monde : 100 000 euros !) « – qui a récompensé par le passé Orhan Pamuk, Javier Marías, Colm Tóibín ou encore Herta Müller » et José Eduardo Agualusa. « Mike McCormack vit aujourd’hui à Galway ». Depuis le festival « New writings New styles » en mars 2017 au Centre Culturel Irlandais, où il était l’un des invités, j’avais vraiment très envie de découvrir ce roman. Et j’avais bien raison !!!

  11 comments for “D’os et de lumière – Mike McCormack

  1. 22 février 2019 à 8 h 04 min

    Je suis tentée par cette écriture qui semble hors norme… à noter, donc !

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    • 22 février 2019 à 8 h 08 min

      Oui !!! Le mieux serait que tu en lises quelques pages quand tu le croiseras en librairie, tu verras si tu accroches 🙂

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  2. 22 février 2019 à 15 h 21 min

    J’avais repéré cet auteur, et ta critique me tente beaucoup 🙂

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  3. 23 février 2019 à 20 h 52 min

    Je l’ai repéré ce livre, il me fais de l’œil ^^ je crois que je vais céder à la tentation. La couverture est magnifique. Merci Hélène, bises bretonnes 🙂

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  4. 23 novembre 2019 à 20 h 56 min

    Très belle chronique mais le style d’écriture me fait un peu peur…

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    • 3 décembre 2019 à 10 h 46 min

      Si tu as l’occasion de l’avoir en main, lis les premières pages, tu sauras tout de suite si tu accroches ou pas 🙂 J’etais un peu circonspecte également quand j’ai entendu parler de cette longue phrase de 350 pages, mais j’ai été happée immédiatement ! « C’est ma came » comme dirait Electra 🤗

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