Dans la joie et la bonne humeur – Nicole Flattery (nouvelles)

Show them a good time, 2019. Traduit de l’anglais (Irlande) par Madeleine Nasalik. Éditions de l’Olivier, 18 juin 2020 ; 304 p.

Mon avis :

« A l’âge de soixante-dix ans, après avoir essuyé maintes déceptions – la première étant ma mère, la seconde moi-même, mon père a passé l’arme à gauche. » (La bosse)

Premier recueil de la jeune irlandaise Nicole Flattery, Dans la joie et la bonne humeur est une sorte de voyage en étrangeté. Les nouvelles qui le composent prennent corps et âme dans un entre-deux nébuleux – voire à la limite de la dystopie, je pense à la première, qui donne son nom au recueil ou à la dernière Pas encore la fin – comme si le monde de Nicole Flattery hoquetait des bulles d’espace-temps autour de ses héroïnes. Ces femmes plus ou moins jeunes sont en décalage subit ou subtil avec le monde ou leur vie, leur environnement, leur famille, leur passé, voire elles-mêmes. « Un horizon limité […] Difficile de déployer ses ailes ». On ne saura pas tout de ces existences dont elles essaient de se dépatouiller. Juste qu’elles sont irlandaises, souvent, plutôt de la campagne. Parfois quasi-amnésiques – L’avortement, une histoire d’amour –, elles tentent ou ont tenté leur chance ailleurs : Paris, New-York, la côte espagnole, des grandes villes. Le sursaut d’y voir clair, de se souvenir, se trouver.

« Je pense à tout ce que j’ai oublié de moi-même, tous ces détails personnels laissés de côté, et je tente de me rafraîchir la mémoire » (Le perroquet)

A une exception près – dissonance de La bande audio, la seule nouvelle qui ne m’a pas plu –, l’unité de ton de ce recueil est marquante ; tellement aboutie qu’en le refermant, j’avais l’impression d’avoir lu un roman. C’est très fort pour un premier ouvrage, quand on sait que les huit nouvelles qui le composent ont toutes paru auparavant dans différentes revues.

« Dans les halls d’hôtel j’étais l’anonyme, fac-similé de moi-même » (Tu m’oublieras avant que je t’oublie)

L’une travaille dans une station-service qui n’en est pas une, deux autres sont étudiantes mais ont tendance à oublier où. Une jeune fille est amoureuse de l’ouvrier australien de ses parents, une jeune femme craint de devenir bossue, une autre a peur que sa soeur enceinte ne l’oublie. Il y a une continuité dans les errances, une boucle dans les questionnements. Ces femmes sont les « maillon[s] d’une longue chaîne de femmes invisibles » mais jamais dupes, a qui Nicole Flattery donne de l’espace pour qu’elles puissent donner de la voix et peut-être trouver leur place. Elle interroge le réel, l’image de soi, l’empreinte de l’autre dans le rapport au monde.

Dans la joie et la bonne humeur est un bien étrange recueil. Stylé, drôle d’une manière sombre et grinçante, absurde et improbable. Très agréable à lire, il est difficile à saisir – une fragrance Beckettienne, peut-être ? – en tous cas j’ai été séduite. Et c’est parfois tellement space qu’on se fend vraiment la poire, ce qui ne gâche rien.

« Ayant grandi avec des mères qui dégustaient, la mine austère, leur verre de vin annuel, on levait toutes le coude comme nos pères. Le grand bond en avant de notre génération. » (Dans la joie et la bonne humeur)

★★★★★★★★★☆

  2 comments for “Dans la joie et la bonne humeur – Nicole Flattery (nouvelles)

  1. 21 août 2020 à 19 h 23 min

    Je le note, beau weekend Hélène 🙂

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