Entre ciel et terre – Jón Kalman Stefánsson

Himnaríki og helvíti, 2007. Traduit de l’islandais par Eric Boury. Gallimard, 2010 ; réédité en poche chez Folio, 2011.

Ma chronique :

Pour survivre, ils pêchent. En rang au signal, alors que l’aube n’est encore qu’un songe, tous ils se lancent, six par barques, inlassablement, ces colosses gaillards rament à l’assaut de la mer et de leur destin, ils fendent les flots. Aucun ne sait nager. Des heures durant ils rament, bravant le froid, la fatigue, la peur, la faim, la soif, ils rament jusqu’à trouver l’endroit où le poisson va mordre, va les nourrir à défaut de les enrichir, cet endroit que le patron pêcheur connait, sent, devine, soupçonne, où, lignes déroulées, en attendant que le poisson se laisse pêcher, ils vont guetter le ciel, le temps, les vents, ballottés par les flots, arrimés vaille que vaille à la possibilité, à l’espoir, de pouvoir rentrer sans être balayés de la vie, de ramer à nouveau des lustres sans verser, être engloutis, se noyer. Revenir pour bientôt, un autre matin, repartir, et ramer, pêcher, encore ; si on n’est pas déjà morts.

C’est dans cette vie, aux côtés du « gamin » et de Bardur, que Jon Kalman Stefansson nous immerge, dès les premières lignes de ce roman (son premier à avoir été traduit en français). Et c’est magnifique. Plein de rudesse et de poésie, ce récit est puissant et emporte, les émotions déferlent à égale mesure des vagues et des personnalités rencontrées. J’avais eu un coup de cœur pour D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds, et la magie de la plume de cet auteur islandais m’a à nouveau prise dans ses filets. L’amitié, le deuil, le chaos de la vie, le désir, l’instant où tout bascule… J’ai refermé ce livre un peu sonnée, et bouleversée. Emplie de lumière, aussi. Je conseille vivement, bien sûr. Il y en a deux à suivre celui-ci, La Tristesse des Anges et Le Cœur des Hommes. Une suite aux Poissons n’ont pas de pieds est sortie chez Gallimard le 17 mars dernier : A la mesure de l’Univers. Hâte.

(Ce roman trônant dans ma Pile à lire depuis un peu plus d’un an, cette chronique va me permettre ce mois-ci aussi de contribuer à l’objectif PAL, animé avec application et générosité par Antigone depuis novembre dernier  ; merci à elle 🙂 )

Extraits :

« L’obscurité était si épaisse qu’on pouvait, de la pointe de son couteau, y graver les initiales de son nom. »

« Papa, pourquoi le soleil ne tombe pas, pourquoi ne voyons-nous pas le vent, pourquoi les fleurs ne parlent pas , où s’en va la nuit pendant l’été, la lumière en hiver, pourquoi les gens meurent-ils, pourquoi somme-nous obligés de manger les animaux, ça ne les rend pas tristes, quand est-ce que le monde va mourir ? »

« Celui qui meurt se transforme immédiatement en passé. Peu importe combien il était important, combien il était bon, combien sa volonté de vivre était forte et combien l’existence était impensable sans lui : touché ! dit la mort, alors, la vie s’évanouit en une fraction de seconde et la personne se transforme en passé. Tout ce qui lui était attaché devient un souvenir que vous luttez pour conserver et c’est une trahison que d’oublier. Oublier la manière dont elle buvait son café. La manière dont elle riait. Cette façon qu’elle avait de lever les yeux. Et pourtant, pourtant, vous oubliez. C’est la vie qui l’exige. Vous oubliez lentement, mais sûrement, et la douleur peut être telle qu’elle vous transperce le coeur. »

« Les chiffres sont dénués de toute imagination, tu devrais donc te garder de leur accorder trop d’importance. »

« Il passe son archet sur les cordes d’un vieux violon, sa note la plus haute est si mince et si aiguë qu’elle pourrait trancher un coeur en deux. »

  15 comments for “Entre ciel et terre – Jón Kalman Stefánsson

  1. 27 avril 2017 à 16 h 33 min

    J’étais tombée tout à fait par hasard sur ce livre dont je n’avais jamais entendu parler. Une vraie révélation. Un immense écrivain.  » Certains mots sont des balles de fusil, d’autres des notes de violon. certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires »

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  2. 27 avril 2017 à 17 h 35 min

    Magnifique chronique ! Merci, j’ajoute ce livre dans mes futurs achats.
    (Et si mon souvenir est bon, je l’ai vu toute à l’heure à la librairie…)

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  3. 27 avril 2017 à 17 h 50 min

    Magnifique auteur découvert grâce à ta chronique. J’ai beaucoup aimé  » d’ailleurs les poissons… » Il me tarde d’en lire d’autres. As-tu vu ce film islandais qui parle de deux frères et de leurs béliers, Rams. Il y a une puissance dans ce film qui m’évoque l’univers de Jon K Stefansson

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    • 28 avril 2017 à 11 h 07 min

      Ça me fait tellement plaisir 🙂 Et pour le film Beliers, mais oui, je l’ai vu ! Et comme toi, j’y ai vraiment retrouvé tout ce qui me plaît chez Jon Kalman Stefansson. Quelle claque. En sortant du ciné (je l’ai vu en novembre dernier, grâce à un chouette festival de cinéma contemporain organisé dans ma ville), je me suis fait la promesse de ne plus rater un film islandais ^^

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  4. 28 avril 2017 à 10 h 18 min

    Il est dans ma PAL depuis une éternité, il faut absolument que je le lise !

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  5. 28 avril 2017 à 13 h 50 min

    Le titre, la couverture, l’histoire, ta jolie chronique, tout me donne envie de découvrir cet univers. Je rajoute à ma liste, merci du partage, passe un excellent weekend ! Bises bretonnes 🙂 🙂

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  6. 28 avril 2017 à 17 h 32 min

    j’ajoute aussi ce livre dans » mes coups de cœur » à acheter, tu en parles si bien ….. bises bretonnes

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  7. 28 avril 2017 à 20 h 19 min

    Rhooo, mais surtout merci à toi et à vous toutes !! Je suis touchée par ton mot. Et en tous les cas tu m’as donné envie de découvrir ce roman,et aussi cet auteur que je n’ai toujours pas lu…

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    • 1 Mai 2017 à 19 h 55 min

      😘
      Jon K. Stefansson ne peut que te plaire, vive les lectures de PAL ! ^^

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  8. 29 avril 2017 à 7 h 39 min

    Lu il y a des années et beaucoup aimé.

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